Des méthodes liées à la pensée visuelle, quelle est la plus générale et quelles sont les plus spécialisées ? J’ai tenté de rassembler certaines d’entre elles et de les classer selon leur ordre de spécialisation : du mindmapping aux organisateurs graphiques en passant par les carte conceptuelles, les diagrammes de Venn, etc.
Tony Buzan a l’habitude de dire que le mindmapping est le "couteau suisse de la pensée". Autrement dit, on peut accomplir toute tâche intellectuelle avec le mindmapping.
Je suis un peu mal à l’aise avec cette affirmation.
Une classification du plus généraliste au plus spécialisé
Loin de moi l’idée de dénigrer le mindmapping : c’est une discipline qui a changé ma façon de travailler, d’étudier, de former, etc. Je l’emploie tous les jours pour une foule de choses.
Je pense que le mindmapping est la discipline la plus généraliste de toutes celles qui sont issues de ou liées à la pensée visuelle. Elle peut fonctionner dans la plupart des opérations intellectuelles, c’est vrai.
Mais, mon expérience me dit qu’une foule d’autres outils visuels sont plus appropriés, fonctionnent mieux pour des tâches plus spécialisées. Une impression qui s’est confirmée au fil de conversations que j’ai eues récemment sur ce sujet.
J’ai donc essayé d’établir une classification, d’abord pour moi-même : pour tenter d’y voir plus clair dans les usages de ces méthodes, techniques et outils visuels.
Voici un graphique qui illustre cette classification. Encore une fois, j’insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas pour moi d’établir une hiérarchisation des méthodes, mais bien une classification selon l’ampleur du champ d’application de chacune d’elles. (Infographie réalisée avec Infogr.am dont j’ai parlé ici).
Le mindmapping ou carte mentale : la méthode la plus généraliste
Comme le rappelait d’ailleurs Liam Hughes lors de son intervention au Biggerplate Unplugged de San Francisco, le mois dernier : on découvre tous les jours des applications inattendues du mindmapping. Les gens l’utilisent pour enseigner les sciences politiques ou la géographie, mais aussi pour établir une liste de fournitures ou de choses à ne pas oublier pendant les vacances.
Je crois que pour trouver de nouvelles idées (brainstorming), créer des listes, concevoir un projet, préparer une intervention orale, réfléchir à la structure d’un site web : la carte mentale est imbattable !
Dans l’exemple ci-dessous, j’illustre quelques notions que je devais étudier pour préparer un test dans le cadre d’un MOOC sur les jeux vidéos. (Mindmap réalisée avec iMindMap 7, article sur iMindMap 7 Chameleon ici).
Pour comprendre des nouvelles notions et les mémoriser, le mindmapping est une méthode de premier plan. C’est la première que j’utilise dans mes ateliers Apprendre à apprendre. Mais ce n’est pas la seule, car d’autres techniques s’avèrent plus pointues pour d’autres tâches intellectuelles.
Le croquinote : une méthode généraliste, mais sans la structure de la mindmap
Une autre méthode de plus en plus utilisée, est le croquinote ou sketchnote en anglais.
Ici, plus de branches, de flèches ou de noeuds, mais des associations libres de croquis, reliés parfois par des signes graphiques conventionnels (flèches, point d’exclamation ou d’interrogation, etc.).
Voici un croquinote de Xavier Delengaigne que vous pouvez retrouver avec de nombreux autres sur son blog Collectivité Numérique (avec son autorisation amicale) :
Une méthode très agréable, très visuelle, mais qui n’offre pas la même structuration centralisée que la mindmap.
Son origine la plus claire serait les croquis de dessins et de notes de Léonard de Vinci, ses fameux carnets.
Aujourd’hui, le croquinote est utilisé non-seulement pour la facilitation graphique, mais dans un nombre croissant d’applications, même si, à ma connaissance, il n’existe pas encore de logiciel dédié à cette discipline très intuitive.
La carte conceptuelle : idéale pour les flux et les relations entre les concepts
Par exemple, si je dois illustrer des flux, des étapes d’un processus, ou des relations entre différents concepts, la carte conceptuelle est beaucoup plus adaptée.
Créée par Joseph Novacks, elle est surtout utilisée dans les milieux universitaires, mais commence à se répandre en entreprise.
1. Carte conceptuelle pour illustrer des flux et des étapes
Voici un exemple d’illustration de flux de travail dans le cadre de la méthode Getting Things Done de David Allen (carte conceptuelle réalisée avec XMind 2013 que j’ai présenté ici) :
La carte conceptuelle est parfaite pour illustrer les différentes étapes du processus, les noeuds du type Oui/non, etc.
On pourrait le faire avec une carte mentale, mais le résultat serait nettement moins clair…
2. Carte conceptuelle pour illustrer des boucles de rétroaction
La carte conceptuelle est également très pertinente pour illustrer des "boucles de rétroaction", comme dans l’exemple suivant où l’action du gouvernement alimente le mécontentement social (carte conceptuelle réalisée avec CmapTools) :
Le gouvernement offre des primes à l’armée pour la motiver à agir contre les rebelles. L’armée commet des atrocités pour augmenter l’action des rebelles pour acquérir plus de primes. Ces atrocités augmentent le mécontentement social dans une large boucle de rétroaction. C’est l’illustration d’un travail de sciences politiques d’une étudiante de l’université de Maastricht.
3. Carte conceptuelle non-linéaire pour illustrer les relations au sein de la famille
Un autre exemple de carte conceptuelle non-linéaire : les relations au sein de la famille.
C’est une carte que j’ai utilisée pour donner des cours de français aux Pays-Bas : elle permet non seulement d’illustrer les relations entre les différents membres de la famille, mais aussi leurs rapports en tant que père-fils, etc. ; l’acquisition de vocbulaire nouveau ; des articles et des pronoms possessifs (dont le genre change selon l’objet de la possession et non selon celui du propriétaire comme en anglais), etc. (Carte conceptuelle réalisée avec XMind) :
La carte argumentaire : développer la pensée critique et l’argumentation
Peu connue dans le monde francophone, la carte argumentaire vise à développer l’argumentation et la pensée critique.
Il s’agit d’illustrer les articulations logiques du discours : affirmations, objections, réfutations, etc.
Dans cet exemple, je montre une application de la carte argumentaire pour développer une réflexion sur les bio-carburants. (Carte argumentaire réalisée avec Rationale online).
C’est un domaine de la pensée visuelle déjà très spécialisé comparé aux techniques précédentes.
Diagramme de Venn : pour distinguer les ensembles
Les diagrammes de Venn sont un type d’organisateur graphique, mais qui reste largement utilisé.
Il est évidemment très fréquent en mathématiques, mais sert aussi à illustrer des points de divergence, de convergence, d’intersection, etc.
Ici, par exemple, je l’ai utilisé pour illustrer les trois points qu’un projet de starter doit absolument présenter pour être viable (Diagramme de Venn réalisé avec Cacoo) :
Chacun des grands ensembles représente une notion : Expertise, Passion et Responsabilité. Les intersections entre deux ensembles, le résultat de leur conjonction : Passion + Expertise = un merveilleux hobby qui va vous faire passer des heures inoubliables, mais ne vous nourrira pas. Expertise + Rentabilité = ennui garanti avant longtemps et donc risque d’abandon. Passion + Rentabilité = risque d’obsolescence. Les experts se tiennent informés des innovations et des tendances du marché. Ils continuent à progresser tandis que vous stagnez. La rencontre des trois Passion + Expertise + Rentabilité = Mon projet d’entreprise viable. La passion nourrira l’expertise et inversément tandis que la rentabilité soutiendra l’édifice.
Le diagramme de Gantt : visualisez les tâches et responsabilités de vos projets
Le diagramme de Gantt est l’un des outils les plus anciens de la pensée visuelle moderne : il date des années 1910.
C’est un moyen visuel très pratique pour déterminer qui est responsable de quoi dans vos projets et à quelle étape vous en êtes.
Je le classe immédiatement avant les organisateurs graphiques les plus spécialisés car il sert uniquement à ça (mais il le fait diablement bien !).
Voici un exemple de diagramme de Gantt tiré d’une mindmap de gestion de projet réalisée avec XMind :
Chaque trait rouge correspond à une tâche étalée dans une ligne du temps. Cela permet de visualiser chaque tâche, mais aussi l’ensemble des tâches et des personnes impliquées dans un projet. Un must pour tous les gestionnaires de projet !
Les organisateurs graphiques : les outils les plus spécialisés
Les organisateurs graphiques sont souvent très spécialisés dans une seule tâche :
- comparaison
- recherche des causes
- illustration de séquences
- hiérarchies
- cycles
- etc.
1. Organisateurs graphiques de comparaison : les doubles-bulles
Voici un exemple d’organisateur graphique de comparaison : la double-bulle (Double-bulle réalisée avec XMind) :
C’est une comparaison entre araignées et insectes à destination des élèves de l’école primaire. La double-bulle permet des comparaisons entre deux items en utilisant des catégories centrales et des propriétés des deux éléments à comparer.
Ces comparaisons ne sont pas réservées à la petite école : j’ai utilisé ce type de schémas pour comparer des types d’organisations pour des étudiants en masters…
2. Organisateur graphique de causalité : l’Ishikawa
Pour retrouver les causes d’un problème, l’Ishikawa (du nom de son inventeur) ou structure en arête de poisson est un outil très performant.
Ici, un exemple d’Ishikawa 5 M pour retrouver les causes multiples d’un accident de travail. (Ishikawa réalisé avec XMind).
C’est un exemple classique de recherche de causes multiples : un jeune stagiaire est victime d’un accident de travail.
On explore les 5 dimensions du problème :
- main d’oeuvre
- management
- marchandises
- machines
- money (causes financières éventuelles)
Dans cet exemple, le stagiaire n’a pas été formé correctement (Main d’oeuvre). La maintenance de la machine était en retard et le management est responsable de n’avoir pas pris suffisamment de mesures pour la prévention des accidents.
Il faut donc agir sur trois dimensions (Machines, Main d’Oeuvre et Management) afin que l’accident ne se reproduise plus.
3. Organisateur graphique séquentiel : la ligne du temps
J’ai pour habitude de détourner l’ishikawa ou arête de poisson : je le retourne afin de créer une ligne du temps dans XMind.
Ici, un exemple pour aider un starter à voir plus clair dans les étapes de son projet. (Ishikawa réalisé avec XMind).
Certaines personnes sont perturbées par la tête du poisson qui pointe vers la gauche : mais la ligne du temps se lit de gauche à droite : depuis la réflexion en septembre 2012 jusqu’au lancement de l’activité en septembre 2013.
C’est un outil très pratique pour visualiser les étapes dans le temps. Mais il existe de nombreux autres outils sur Internet qui permettent de créer des lignes du temps.
En conclusion : l’essor du Visual Mapping
La conclusion de cet exercice, c’est que le mindmapping a été l’une des premières disciplines – avec le concept mapping – a remettre la pensée visuelle au goût du jour. Et le mindmapping s’avère une discipline très généraliste qui permet de visualiser beaucoup de choses.
Mais depuis, d’autres outils sont venus s’ajouter et nous sommes de plus en plus nombreux à utiliser ces outils et méthodes de manière intégrée.
Ce qui donne lieu à une nouvelle discipline visuelle plus complète qui fait appel à toutes les ressources de la pensée visuelle. Non seulement cartes mentales et conceptuelles, mais aussi les cartes argumentaires, le croquinote, les organisateurs graphiques, le design, la visualisation de données, l’infographie, etc.
Une discipline, presqu’une philosophie, une synthèse en tout cas. Cette synthèse, c’est le Visual Mapping.
Je pense que là réside l’avenir de la pensée visuelle : vers une synthèse des meilleurs apports de différentes disciplines. Je vois le même type de démarche chez beaucoup de collègues comme Philippe Boukobza ou Xavier Delengaigne en France ou encore Hans Terhurne aux Pays-Bas.
Je crois que c’est par le désenclavement de nos disciplines et par la recherche de nouveaux outils d’expression visuelle que nous arriverons à nous intégrer tant l’entreprise que dans les milieux académiques.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Etes-vous d’accord avec cette classification que je tente aujourd’hui ? Encore une fois, une classification en fonction du champ d’application et non pas une hiérarchisation ni un jugement qualitatif. Pour moi, toutes ces disciplines ont leur place dans le Visual Mapping.
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Classé dans:Visual Mapping Tagged: arête de poisson, argumentation, étapes, boucles de rétroaction, carte argumentaire, carte conceptuelle, carte mentale, classification, comparaison, concept mapping, croquinote, diagramme de gantt, Diagramme de Venn, double-bulle, du plus généraliste au plus spécialisé, flux, Hans Terhurne, ishikawa, ligne de temps, mindmapping, organisateurs graphiques, pensée critique, pensée visuelle, Philippe Boukobza, recherche de causes multiples, relations entre concepts, visual mapping, visualisation, Xavier Delengaigne