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L’emploi des personne Dys : l’exemple de Grégory

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L’emploi des personnes Dys ressemble souvent à un sport de combat. C’est qu’elles sont fréquemment mal perçues par les employeurs qui rechignent à les recruter. Pourtant, l’exemple de Grégory démontre clairement que ces personnes ont habituellement un potentiel insoupçonnéL’histoire que je vous raconte ici est rigoureusement authentique.  Seuls, les prénoms ont été modifiés pour des raisons évidentes.

Les personnes Dys – dyslexiques, dyspraxiques, dyscalculiques ou dysorthographiques – peinent à trouver un emploi. Dans un pays comme la France, ou la moindre faute d’orthographe est perçue comme le stigmate disqualifiant par excellence, la dyslexie ne vous prédispose pas aux premières places sur le podium.

L’emploi des personnes Dys : l’orthographe, un stigmate disqualifiant

Rien de plus efficace pour vous déclasser qu’un CV sur lequel  “langage des singes” a remplacé “langage des signes”. C’est un cas vécu.

Et sur le Web les ayatollahs de l’orthographe le disputent aux fanatiques de la grammaire. Un troll m’a accusé de “détricoter la langue française” parce que j’avais eu l’outrecuidance d’écrire cet article sur la curation.

Cependant, une expérience vécue  – alors que j’étais coordinateur d’une mission régionale pour l’emploi dans une région belge proche de la frontière française – m’a convaincu qu’il s’agit d’abord et avant tout d’un gigantesque malentendu.

L’emploi des personnes Dys – la formation Ouvriers de Parcs et jardins – pépiniéristes

Emploi des personnes Dys : une serre comme celles dans lesquelles travaillaient nos stagiaires.
Une serre comme celles dans lesquelles certains de nos stagiaires travaillaient

C’était dans les années 1995-1996. Je coordonnais une formation pour demandeurs d’emploi qui souhaitaient devenir ouvriers-pépiniéristes ou d’entretien de parcs et jardins.

Les jeunes de 18 à 25 ans qui suivaient notre formation avaient tellement de difficultés avec l’écrit que nous avons décidé de faire passer tous les tests, y compris l’épreuve finale à l’oral pour ne pas pénaliser ceux qui éprouvaient les plus grandes difficultés.

L’un d’entre eux en particulier – appelons-le Grégory – présentait des faiblesses spectaculaires à l’écrit. Un jour, il écrivait “arpe”, une autre fois “arb” pour “arbre”. À cette époque, j’ignorais tout des troubles de l’apprentissage. Aujourd’hui, je soupçonnerais immédiatement un cas de dyslexie sévère. Mais à l’époque, je n’avais pas la même connaissance des troubles de l’apprentissage qui me conduirait à co-fonder le MOOC Dys.

Je vous avoue que je me faisais des cheveux blancs quant à l’avenir de Grégory. Il avait tant de mal à rester tranquille en classe, il avait l’air si malheureux parfois que je me demandait comment cela pourrait fonctionner en entreprise.

Notre formation était en alternance avec des cours en centre de formation et des stages pratiques en entreprise, le tout sur plus de six mois. Nous avions signé des conventions avec les employeurs qui s’engageaient à recruter les stagiaires en priorité en fin de parcours.

Grégory s’était retrouvé chez un entrepreneur en parcs et jardins de la région. Je le connaissais un peu. Je savais qu’il s’agissait d’une personnalité un brin rugueuse, très exigeante avec son personnel et encline à des accès de colère pas piqués des hannetons… 

Je croisais les doigts pour que le caractère parfois à fleur de peau de Grégory n’entre pas en conflit avec son employeur potentiel.

Un jour, je reçois un appel de ce dernier.

  • Marco, je t’appelle au sujet de Grégory.
  • Oui, et ?

Je m’attendais à l’Apocalypse, à être agoni d’injures pour avoir lui avoir confié un stagiaire difficile, etc.

  • Est-ce que ce serait possible de l’engager avant la fin de son stage ?
  • Euh, oui, bien sûr.  On peut se voir pour en parler.
  • Demain huit heures trente chez moi ?
  • OK

“Chez moi”, c’était en fait dans son entreprise.  Une entreprise de parcs et jardins dont les locaux étaient aussi propres que ceux d’une clinique suisse.

Marcel m’attendais debout dans sa réserve.  Nous étions debout parmi les fleurs et les semences qui sentaient bon l’humus.

  • Comment est-ce qu’on peut faire pour l’engager dès maintenant ?
  • C’est très simple.  On met fin à son contrat de formation, tu remplis le formulaire pour le Forem (équivalent régional belge de Pôle Emploi) et tu lui fais un contrat de travail.  Moi, j’arrange les formalités avec les différentes institutions.
  • Il peut commencer demain ?
  • Pas de souci.  Mais, pourquoi es-tu si pressé de l’engager ?
  • Écoute, j’ai rarement vu des gars comme lui.  Il ne sait pas lire. Il ne faut pas lui demander d’encoder quoi que ce soit avec l’ordi.  Mais pour les moteurs, c’est un génie.  Mon gros Kubota est tombé en panne sur un chantier important à l’autre bout de la Belgique.  Il me l’a réparé en moins de deux, il m’a sauvé le chantier.  Le matin, il est le premier arrivé, le soir, le dernier à repartir.  S’il y a des choses à ranger, il n’y a pas besoin de lui dire, il le voit tout de suite et il le fait sans qu’on lui demande rien.  Un gars comme ça, je ne veux pas le perdre !

Grégory a donc été le premier stagiaire à être engagé cette saison-là.  Mais pas le dernier. La majorité d’entre eux a trouvé un emploi soit à l’endroit de stage, soit ailleurs. 

Quelques semaines plus tard, je reçois de nouveau un coup de fil de Marcel, l’employeur de Grégory.

  • Marco ? Il y a un gros souci avec Grégory.
  • Il est démotivé ?
  • Non, rien à voir avec le boulot. Mais les policiers sont venus le chercher. Il est Français et il paraît qu’il a déserté l’armée là-bas. Les policiers avaient un mandat d’amener et ils l’ont embarqué en plein milieu de la journée. Je trouve ça scandaleux. Toi, tu ne peux rien faire ?
  • Je peux éventuellement m’informer auprès de la famille, mais il ne dépend plus de nous, à présent qu’il est en contrat de travail chez toi.
  • Je comprends. En tout cas, moi, je vais tout faire pour l’en sortir, s’il lui faut un avocat, je le paierai

Heureusement, il n’y a pas eu besoin d’avocats. Il semble qu’une erreur administrative à la fin de son service militaire soit à l’origine de cette “désertion”. Et Grégory a pu rejoindre très vite son travail.

Mais, si on analyse un peu l’histoire de Grégory, elle nous apprend beaucoup de choses sur l’emploi des personnes “Dys”.

Emploi des personnes Dys : ignorance à tous les étages

L’ignorance figure à toutes les étapes de cette histoire. D’abord moi : à l’époque, j’ignorais tout de la dyslexie. Ce n’est que dix ans plus tard, lors de ma rencontre avec des jeunes qui fréquentaient mes ateliers Apprendre à Apprendre que j’ai pris conscience de cette condition. Et que j’ai repensé à Grégory.

Lui non plus ne savait pas qu’il était dyslexique : personne ne l’avait jamais diagnostiqué.

Les assistantes sociales qui l’avaient aiguillé vers notre formation ignoraient aussi l’ampleur de ses difficultés.

Son patron ne le savait pas non plus. Mais il a tout de suite perçu ses forces, ses faiblesses et son potentiel.

Au point qu’il l’a engagé avant la fin de son stage alors que ça lui aurait coûté moins cher de le faire quelques mois plus tard. Mais, comme il me l’a expliqué, il ne voulait pas courir le risque de le voir partir ailleurs.

Le dynamisme de Grégory, son don pour la mécanique et sa motivation pour cet emploi ont déjoué tous les pronostics.

Sa personnalité attachante et sa solidarité avec les autres employés de l’entreprise ont fait que tout le monde s’est mobilisé quand il a eu des problèmes avec la justice.

Il n’aurait sans doute pas eu les mêmes chances chez un employeur qui se serait attaché trop précisément à la description de poste. Après tout, Grégory était là pour faire du jardinage, pas de la mécanique. Mais l’employeur a bien compris là où résidaient ses points forts et ses atouts pour l’entreprise. Et il lui a rapidement confié d’autres tâches comme la réception des camions de livraison. Car, si Grégory a toujours des problèmes avec l’écrit, il est d’une précision redoutable sur les poids et les volumes et d’une loyauté à toute épreuve envers son patron.

Il est plus que temps d’éradiquer cette ignorance du potentiel d’emploi des personnes Dys. Et de sensibiliser les employeurs aux compétences techniques et aux qualités humaines qu’ils peuvent apporter à l’entreprise.

Et de démystifier la connaissance de l’orthographe et de cesser de l’ériger en condition impérative pour l’emploi.

Je connais des champions de l’orthographe qui sont de parfaits boulets et des personnes qui savent à peine écrire mais sont des travailleurs hors pair.

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