A quoi sert la gamification ? Pourquoi utiliser des badges pour l’ e-learning ? Est-ce la même chose que les jeux sérieux ? J’examine avec vous ces différentes notions et comment nous les utilisons dans nos SPOC.
Badges et gamification ne sont pas synonymes
Quand on parle de gamification (ou de ludification ou de ludicisation), les gens vous répondent 9 fois sur 10 (et je suis gentil…) :
« – ah, oui, les badges !«
C’est vrai que les badges sont un élément de la gamification. Mais ils ne sont qu’un seul élément parmi d’autres. La gamification, c’est beaucoup plus vaste et plus complexe.
La gamification, qu’est-ce que c’est ?
La « gamification » c’est l’application à un domaine (la formation, le marketing, le management, etc.) les principes du jeu. C’est-à-dire les règles, le score, le plaisir, les éléments matériels du jeu comme le plateau, les avatars. Mais aussi des principes plus abstraits comme la compétition, la collaboration, le sentiment d’avoir accompli quelque chose, le fait de relever des défis, etc.
Et les badges dans tout ça ?
Les badges sont un élément matériel de la gamification. Ils en sont une partie visible, une matérialisation des récompenses symboliques du jeu. Mais ils n’en constituent pas l’élément principal.
Pour autant, ils sont intéressants. J’ai suivi partiellement un MOOC sur les défis qui attendent l’enseignement dans les prochaines années sur une plateforme australienne. Nous recevions des badges amusants pour chaque activité réalisée. Nous pouvions voir aussi quels badges les autres participants avaient reçus. Et c’était stimulant.
Les badges dans les formations de SPOC en Stock
Dans le SPOC Formez en ligne, j’avais d’abord pensé ne pas me servir des badges et finalement, j’ai décidé de les utiliser.
Je les ai créés avec Iconion, un programme de création et de modification d’icônes. J’ai créé un jeu de badges différents pour chaque semaine. Chaque semaine a sa propre couleur. Et les badges sont décernés lorsque certaines activités sont marquées comme terminées par le participant. Cela signifie que le participant a une possibilité de choix : il peut réclamer ou non son badge en marquant ou non l’activité. Certains participants cochent toutes les activités, d’autres seulement certaines, enfin, un dernier groupe ne les coche pratiquement jamais.
C’est évidemment un niveau très faible de gamification et j’en ai conscience. J’aimerais aller plus loin et scénariser certaines formations en tenant compte de principes plus élaborés de gamification, comme la compétition, la collaboration (la coopétition, qui fait appel parfois à l’une, parfois à l’autre, comme dans la « vraie vie »).
Les dangers de la gamification
Contrairement à ce que vous pourriez penser, la gamification, ce n’est pas quelque chose de simple. Vous pouvez vous tromper complètement à propos des motivations de votre public. Un des systèmes de gamification qui m’a le plus déçu – et même énervé parfois – c’est celui de Kobo Books.
1 Des récompenses qui ne signifient rien pour le bénéficiaire
Lecteur invétéré, j’ai découvert les e-books il y a quelques années et donc je lis de moins en moins de livres en papier (moins de 10 % de mes lectures actuelles). Kobo Books pensait me récompenser en m’attribuant des badges. Des badges pour avoir fini un livre en moins d’une semaine (j’en lis en moyenne deux par semaine), pour avoir lu entre 2 et 3 heures du matin (je n’apprécie que très modérément cette récompense pour « insomnie »), un badge pour avoir lu un livre de « non-fiction » (c’est à peu près la moitié de ce que je lis, l’autre moitié étant composée de romans, de poésie et de théâtre).
D’abord, je n’ai rien demandé. On m’attribue des badges que l’on m’incite à partager sur Facebook (ce que je me refuse à faire, mes habitudes de lecture ne regardent que moi… et vous à présent !).
Ensuite, et c’est sans doute le plus important, ces badges n’ont aucun sens pour moi : je lis un ou deux livres par semaine ? Oui, et c’est comme ça depuis 45 ans… Je lis la nuit ? Oui, je dors peu… Ces badges ne m’apprennent rien sur moi que je ne sache déjà. Ils ne témoignent pas d’une progression, d’un engagement particulier. Et donc, je les trouve plus ennuyeux qu’autre chose.
2 Des récompenses extrinsèques qui finissent par démotiver
Un autre danger de la gamification, c’est de compter uniquement sur des récompenses de type extrinsèque. De penser qu’offrir un badge ou un certain nombre de points va vous inciter à vous engager. En réalité, ces récompenses constituent une motivation externe, qui risque d’entrer en conflit avec les motivations internes de la personne. Un exemple très significatif : les tableaux de scores.
Beaucoup de gens s’imaginent que les tableaux des scores sont un élément essentiel de motivation. Ils sont d’ailleurs utilisés pour stimuler les vendeurs. Pourtant, un tableau de score ne fonctionnera que si vous avez des chances de vous retrouver dans les 10 % de joueurs de tête. Si vous affichez un score de 5400 points alors que le premier affiche 12 millions de points, quelle sera votre réaction ? Vous allez laisser tomber. Vous vous direz: je n’ai aucune chance de rejoindre le peloton de tête, donc il vaut mieux abandonner…
Daniel Pink, dans son ouvrage La vérité sur ce qui nous motive, souligne les dérives de ce type de compétition et de course à la récompense. Sa conclusion rejoint ce que je disais sur les badges de Kobo Books : ce qui nous motive, c’est ce qui fait sens pour nous, ce qui nous permet de diriger nos vies, d’apprendre, de créer de nouvelles choses et de progresser au niveau personnel. (Cliquez sur l’icône en forme de phylactère pour obtenir les sous-titres en français).
3. Un système de contrôle insidieux des joueurs, voire des citoyens
La gamification ne fait pas l’unanimité loin s’en faut et les arguments des opposants ne manquent pas de sens.
L’essayiste Evgueni Morozov, dans son ouvrage « Cliquer ici pour tout résoudre : l’aberration du solutionnisme technologique« , critique notamment les dérives de la gamification. Il met l’accent sur le changement important que constitue le remplacement d’impératifs moraux par des stimuli de compétition, de réseaux de surveillance mutuelle, etc..
Ces craintes sont loin d’être infondées. Les autorités chinoises ont mis en place un système de gamification de ses citoyens pour augmenter leur taux d’obéissance.
La vidéo ci-dessous démontre le détournement des principes de la gamification pour obtenir ce contrôle des citoyens et leur coopération volontaire à leur propre asservissement. La Boétie et son asservissement volontaire sont toujours d’actualité…
La collaboration, une dimension souvent oubliée et pourtant essentielle
D’autres critiques de la gamification et de l’emploi des jeux en éducation soulignent l’aspect compétitif de ceux-ci.
Rien n’est plus éloigné de la réalité. Dans une interview de Bing Gordon, un des spécialistes de l’industrie du jeu interviewés par Kevin Werbach au cours du MOOC Gamification sur Coursera, ce dernier précise que :
-« dans le jeu, la collaboration l’emporte sur la compétition dans un rapport de 1 à 3. »
Et il ne parle ni de jeu sérieux (sérious game) ni de « gamification », mais bien de jeu en général, c’est-à-dire ceux que les entreprises qu’il conseille vendent par millions d’exemplaires…
Les quelques exemples de gamification que je vois mis en place dans les MOOC ou les formations en ligne sont surtout de type individuel ou de compétition. Les éléments les plus sophistiqués sont les tableaux de scores, les badges et les points. On retrouve dans ce schémas, celui des notes de l’école que pourtant de plus en plus de parents et d’enseignants rejettent…
Je rêve de formations où la gamification consiste à rassembler des groupes au sein desquels la collaboration, la coopération sont encouragées tandis qu’ils préparent une compétition féroce à l’égard des autres groupes. Avec, pourquoi pas, des transferts d’un groupe à l’autre, des alliances temporaires, etc. Exactement comme dans tous les groupes humains que nous fréquentons : l’école, l’entreprise, les clubs sportifs ou culturels, etc.
Un nécessaire équilibre entre gamification et qualité pédagogique
La gamification a beau être un système encourageant la participation et l’engagement, elle ne suffit pas à les garantir.
Seule la qualité pédagogique de votre formation fera réellement la différence : il faut d’abord et avant tout que vos apprenants trouvent la solution à leur problème, une progression pédagogique supportable, un environnement d’apprentissage propice à l’acquisition de nouvelles compétences.
Mais une scénarisation intelligente, un équilibre entre coopération et compétition, des niveaux de jeu qui correspondent à une progression pédagogique, des épreuves qui ont du sens pour les participants… Tous ces facteurs renforceront la qualité de votre cours ou de votre formation.
Mais, encore une fois, l’essentiel est ce que vous voulez transmettre.
Conclusions :
1. Jouez à la fois sur les motivations intrinsèques et extrinsèques
Les formations qui réussissent sont souvent celles qui, en-dehors du fait qu’elles répondent aux problèmes des apprenants, correspondent à la fois à des motivations intrinsèques et extrinsèques.
Parce que tous les apprenants ne sont pas motivés par la même chose : certains voudront progresser au niveau du développement personnel, d’autres visent un avancement de carrière, d’autres encore sont présents par obligation, sommés par leur hiérarchie de suivre la formation X…
Ces différentes catégories d’apprenants ne répondront pas de la même manière au mêmes stimuli. Et si la gamification est imposée ou trop manipulatrice, elle risque même de rebuter ceux pour qui la motivation intrinsèque est la plus importante.
2. Soyez clair et respectez une rigoureuse éthique de travail
Soyez clair avec vos apprenants : ils doivent savoir dans quel « jeu » ils s’engagent et quels en sont les enjeux. Seront-ils pénalisés s’ils refusent la gamification ? Ils doivent connaître les règles pour pouvoir les accepter en toute conscience et s’y plier.
N’utilisez pas la gamification comme un moyen d’exercer une pression supplémentaire sur vos apprenants. Le tout doit conserver une dimension ludique, non-intrusive et qui ne place pas les apprenants dans des situations fausses.
3. N’oubliez pas que vous êtes d’abord là pour enseigner et transmettre
Le piège de la gamification, comme de toutes les innovations technologiques auxquelles nous assistons pour le moment, c’est d’oublier que le but initial est bien d’enseigner, de transmettre, de former des apprenants.
Que tous les dispositifs ludiques et/ou technologiques intégrés dans nos plateformes sont au services de la pédagogie et non l’inverse.
Posons-nous d’abord la question : si j’adopte cette méthode ou cette technologie, cela va-t-il renforcer ou faciliter l’apprentissage des participants ?
Si la réponse est non : laissez tomber sans état d’âme !
Bon travail :)
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