Construire un système apprenant ? Les organisateurs du MOOC Dys – une formation ouverte sur les troubles spécifiques du langage et de l’apprentissage en 6 langues, cofinancé par le programme européen Erasmus+ – souhaitaient avant tout susciter la création d’une intelligence collective sur ces troubles. Le meilleur moyen d’y parvenir était de créer un ” écosystème apprenant “. Ce qui compose cet écosystème, ce sont des relations d’interdépendance entre acteurs, médiées par la technologie éducative.
Une version de cet article est parue dans le RHMag du 4 avril 2020.
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Table des matières
Un écosystème, c’est un espace dans lequel vivent différentes espèces – animales et végétales – interdépendantes. On sait depuis peu que les bisons ont un impact direct sur les prairies qu’ils broutent : ils rasent l’herbe verte la plus nutritive – la ” vague verte ” — ce que font également les autres ongulés, comme les cerfs ou les sangliers.
Mais, alors que ces derniers doivent migrer pour retrouver cette herbe verte ailleurs, les bisons restent sur le même territoire jusqu’à l’automne, créant ainsi une sorte de printemps artificiel. Les analyses montrent que les bisons rasent la vague verte, mais pas le reste de l’herbe, tandis que leurs déjections engraissent et renouvellent la partie la plus nutritive de la plante. L’herbe nourrit le bison, mais le bison nourrit l’herbe dans un cycle constamment renouvelé.
Un écosystème apprenant, c’est une communauté d’humains qui ont des relations interdépendantes et qui se nourrissent les uns les autres.
Se nourrir mutuellement par la médiation des outils numériques
Apprenants et formateurs peuvent se nourrir mutuellement par la médiation des outils numériques. Ce qui constitue l’écosystème, ce n’est donc pas l’outil numérique : ce sont les relations dynamiques entre les membres du système. Des relations interdépendantes qui s’articulent autour d’objectifs communs – que veut-on apprendre ?
Mais l’outil numérique bien conçu doit permettre ces relations, les amplifier, les conserver dans sa mémoire pour qu’ils constituent une base de connaissances réutilisables.
Quand nous avons conçu le MOOC Dys, nous voulions non pas un des ces MOOC paresseux qui alternent vidéos et quiz selon une trame impersonnelle. Nous voulions diffuser une information vérifiée et validée scientifiquement qui serve de médiation entre les participants.
Ces derniers n’étaient pas des pages blanches sur lesquelles nous allions inscrire de nouvelles connaissances anonymes. Mais bien des parents, des enseignants et des professionnels qui disposaient déjà une connaissance empirique de ces troubles, d’une expérience quotidienne significative.
Nous voulions tirer parti de ces connaissances et ces expériences. Nous voulions que cette rencontre entre deux publics soit l’occasion de générer une intelligence collective de ces troubles. Que les participants échangent, créent et partagent leurs propres angoisses, mais aussi leurs propres solutions.
Un réseau d’ambassadeurs pour booster la communauté
Nous voulions aussi assurer une large diffusion de notre MOOC ainsi que construire un réseau de relais au sein du MOOC. Un groupe de personnes qui puissent diffuser l’information à l’extérieur, mais aussi accueillir les participants, leur donner un coup de pouce, animer leurs propres actions au sein du MOOC…
D’où l’idée du Réseau des Ambassadeurs. Ce réseau serait interne : il serait constitué de participants du MOOC, volontaires et qui bénéficieraient d’un accès anticipé à la fois à la plateforme et au contenu du MOOC.
Nous avons donc lancé un appel sur le blog du MOOC et un webinaire en live, rediffusé en accès libre sur YouTube. Et une soixantaine de personnes se sont inscrites suite à cet appel. Pour les identifier et les récompenser de leur engagement, elles ont reçu un badge spécifique (la plateforme The CourseNetworking que nous avons utilisée pour le MOOC Dys est gamifiée et propose une batterie d’outils d’apprentissage social).
Les Ambassadeurs nous ont rapidement demandé une affiche et un dépliant que nous leur avons fournis. En quelques mois, nous sommes passés de 1.500 inscriptions à plus de 17.000…
L’un des Ambassadeurs, Jean-Luc Rio, nous a même créé une vidéo de promotion qui est devenue la vidéo officielle du MOOC.
Aujourd’hui, plus de 5 ans après la fin du MOOC, les contenus sont toujours accessibles et nos Ambassadeurs continuent à publier et à échanger.
La magie des grands nombres
Une des grandes peurs qui hantent les enseignants ou les formateurs face à ces MOOC et à leur nombre impressionnant de participants est la perte de contrôle.
Et en effet, on ne contrôle pas tout dans un MOOC. Et tant mieux.
À partir d’un certain seuil, une magie des grands nombres apparaît : lorsqu’un participant est en difficulté ou s’il pose une question, les formateurs n’ont pas le temps de répondre. Un ou plusieurs participants l’ont fait avant même que le formateur ait repéré la question…
Parfois la réponse est excellente. Parfois, elle l’est moins. Dans ce cas, le formateur peut apporter un complément d’information ou un correctif. Cela peut engendrer une discussion profitable pour tous.
L’acceptation des différences
Il faut pouvoir accepter les différences : une communauté, ce n’est pas forcément un espace dans lequel toutes les personnes pensent et agissent de la même façon. Un écosystème apprenant efficace doit permettre à chacun d’agir différemment, à divers endroits, selon ses envies, les circonstances, etc.
Par exemple, certains participants du MOOC Dys étaient parents d’enfants autistes. Or, l’autisme occupait quelques paragraphes du contenu, principalement pour noter que ce trouble pouvait être associé à la dyslexie ou la dyspraxie, par exemple.
Grâce à un système de hashtags, les participants peuvent créer leur propre communauté d’intérêt au sein du réseau global de CN. Ils peuvent donc publier sur l’autisme, effectuer des sondages, partager des informations au sein de leur propre communauté. Mais cela ne les empêche pas de participer aux activités communes du MOOC.
Chacun peut ainsi, au sein de l’écosystème apprenant global, générer son propre réseau de relations centrées sur des objectifs, des intérêts ou des besoins communs.
Les événements : une autre manière d’exercer la présence pédagogique
Deux auteurs britanniques, Garrison et Arbaugh, ont défini la présence pédagogique comme ” le fait pour les apprenants de pouvoir exercer une influence sur leur parcours pédagogique, sur sa structuration et sa planification “.
Dans notre plateforme The CN, les participants, comme les formateurs, peuvent créer des événements, en ligne ou hors-ligne. Il peut s’agir d’une classe virtuelle, d’une conférence en présentiel, d’une réunion, etc.
Nous avons créé, en tout et pour tout, 5 événements : les classes virtuelles hebdomadaires. Les participants en ont créé 151… Il s’agit de conférences, de ” café ergo ” organisé chaque jeudi par les ergothérapeutes, de vidéoconférences organisées par une enseignante roumaine, etc.
Un écosystème apprenant, ça ne se décrète pas
Un écosystème apprenant, ça se construit, jour après jour. Avant l’action, il faut construire la communauté, en se basant sur un intérêt commun. Une communauté, a fortiori un écosystème apprenant, ne peut fonctionner que s’il y a des interactions sociales. Mais des interactions guidées par des règles, explicites ou implicites.
Nos règles étaient plutôt simples : ne pas heurter ou insulter les autres participants. Pour les professionnels, ne pas profiter du MOOC pour faire de publicité intempestive. Sur les 6.200 participants du MOOC en français, nous avons dû en exclure deux pour ces motifs, ce qui ne paraît pas excessif. Voilà de quoi rassurer les obsédés du contrôle.
Pour le reste, nous encouragions les initiatives et les discussions. Ce qui s’est réalisé puisque par exemple, les participants du MOOC francophone ont échangé plus de 15.900 billets pendant le MOOC. Les recordmen absolus de la longueur des échanges étaient les participants grecs dont les billets étaient en moyenne 5 fois plus longs que les billets français…
Le dernier facteur de réussite d’un écosystème apprenant, c’est la technologie. Il faut que celle-ci puisse traduire en actes, en interactions sociales et cognitives, l’intention pédagogique initiale. Je place volontairement ce facteur en dernier, car souvent, les formateurs (et moi le premier) se laissent tenter par le ” fétichisme technologique ” : la fascination pour l’outil. J’espère que nous avons évité cet écueil…
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