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Apprendre en jouant – critique de livre

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Dans ce livre tonique, Eric Sanchez et Margarida Romero, explorent les liaisons pas si dangereuses entre jeu et apprentissage. Apprendre en jouant démonte 9 mythes et idées reçues en autant de chapitres accessibles et bien documentés.

Apprendre en jouant – Mythes et réalités

La collection « Mythes et réalités » – dirigée par André Tricot – résume parfaitement l’objectif de cet ouvrage co-signé Eric Sanchez et Margarida Romero avec la contribution de Thierry Vieville.

Le livre se compose de 9 chapitres qui sont autant d’entreprises de démolition d’idées reçues sur le jeu et l’apprentissage.

Chapitre 1 : Le jeu est une idée nouvelle

Couverture du livre Apprendre en jouant sur le jeu et les apprentissages scolaires
Couverture du livre Apprendre en jouant – Mythes et réalités

Une idée nouvelle, le jeu ?

Les auteurs démontrent que loin d’être une innovation pédagogique, le mot « jeu » tant en grec qu’en latin, renvoie à notre conception d’activité récréative, mais aussi à celle d’école, de temps et d’espace réservé à l’apprentissage…

Érasme, au tournant des 15e et 16e siècle, préconisait le jeu comme moyen de rendre plaisant les matières ingrates ou peu populaires.

Et dans d’autres civilisations, comme la Chine, le jeu était une activité pratiquée tant par les adultes que par les enfants.

Il semble bien que le christianisme et certaines conceptions telle que l’apprentissage par l’effort soient à l’origine du déclin du jeu dans les apprentissages scolaires.


Chapitre 2 : Le jeu est une ruse pédagogique


C’était la conception d’Érasme : le jeu aide les enfants à apprendre en jouant puisqu’il enrobe de sucre des matières réputées ingrates ou difficiles.C’est l’argument du « chocolat sur le brocoli », de la « ruse pédagogique » censé tromper les enfants et leur faire prendre les mathématiques pour un jeu d’enfant.

Malheureusement, l’expérience montre que ce type de ruse ne fonctionne pas longtemps et que l’amertume du brocoli reprend vite le dessus sur la douceur de la friandise.

Apprendre en jouant - en classe et à la maison
Apprendre par le jeu

Chapitre 3 : Le jeu, c’est surtout pour les enfants

Eh bien non : les adultes aussi se prennent au jeu ! (Je n’ai pas pu résister…).

Si de nombreux pédagogues s’accordent pour affirmer que le #jeu est crucial pour le #développement #cognitif, #émotionnel et #social des enfants, il n’en reste pas moins que les jeux peuvent constituer un support de #formation tout au long de la vie.

Apprendre en jouant - pas seulement pour les enfants
Des jeux de psychomotricité ou de reconnaissance des chiffres

Qu’on pense aux jeux d’évasion, aux jeux de simulation dans les formations à la santé ou encore l’entrainement militaire, le jeu offre un espace de simulation sécurisé et sans conséquences réelles hors de ses limites.


Chapitre 4 : La ludicisation permet d’améliorer les apprentissages

Ce n’est pas évident. Et contrairement à un discours asséné par une pléthore de consultants, ce ne sont pas les mécaniques du jeu qui font qu’on apprend dans un environnement ludicisé (ou gamifié) mais bien la pertinence des actions, la conscience de la situation dans laquelle le joueur-apprenant se trouve, les interactions qu’il noue avec les autres.

Certaines expériences de gamification montrent un apprentissage amélioré alors que d’autres suggèrent une baisse des performances.

La #gamification n’est donc pas une recette magique applicable partout, mais un ensemble de #stratégies à mettre en œuvre avec prudence et transparence.

Sans compter les possibles dérives dont j’ai déjà parlé dans cet article.


Chapitre 5 : Le jeu est une activité solitaire qui privilégie la compétition

Ici aussi, la réalité est plus complexe que nos représentations. Oui, le jeu peut être solitaire et lié à la compétition : Roger Caillois avait déjà démontré dans Les Jeux et les Hommes, que la dimension agonale (ou compétitive) n’était pas la seule présente dans le jeu. Bien sûr, certains jeux promeuvent la compétition et il n’est qu’à voir comment les jeunes apprécient les défis dans Kahoot, par exemple. Mais on trouve également des jeux coopératifs ou encore « coopétitifs », qui proposent un subtil équilibre entre coopération au sein d’une équipe et compétition à l’égard des autres joueurs.

Et pour ce qui est de la solitude, les MMOOG, les jeux en ligne massivement multijoueurs peuvent rassembler des centaines de milliers de joueurs…

Apprendre en jouant : les MMOOG ou jeux massivement multijoueurs
Les MMOOG – jeux massivement multijoueurs

Chapitre 6 : On apprend surtout des connaissances procédurales en jouant

« Le jeu permet juste de s’exercer à ce qu’on a appris par ailleurs. C’est un excellent exerciseur, mais on ne peut rien apprendre de neuf en jouant. » Si le jeu peut être un excellent simulateur – comme America’s Army pour les nouvelles recrues américaines ou encore Shuttle to Mars pour les apprentis astronautes – le cantonner à ce seul rôle serait pour le moins réducteur.

Certains jeux peuvent inciter les joueurs à développer des connaissances d’un domaine, comme Bankeji pour la finance. D’autres jeux offrent aux participants l’opportunité d’exercer une pensée complexe comme Clim@ction, dans lequel les joueurs doivent élaborer un plan d’action pour la reconversion du territoire où ils vivent. Ces jeux visent à développer la capacité des participants « à comprendre la nature des connaissances scientifiques (les liens qui unissent les concepts et le caractère évolutif de ces concepts) et la manière dont elles sont produites (leur mode de production et de validation« .

Les jeux de persuasion tentent d’influer sur les comportements des élèves, tout comme Classcraft. Tandis que d’autres jeux visent le développement de compétences transversales (ou soft skills en jargon managérial). Les jeux de « bac à sable » comme Minecraft ou Minetest proposé par Framasoft en font partie.

Apprendre en jouant - s'entrainer aux soft skills avec Minecraft
Apprendre les compétences transversables avec Minecraft

Enfin, faire produire des jeux numériques par les apprenants est aussi une modalité intéressante d’utilisation du jeu en formation. Vous trouverez difficilement une activité plus interdisciplinaire que celle-ci à proposer à vos élèves…

Chapitre 7 : Les jeux, c’est pour apprendre ou enseigner, pas pour évaluer

Alors que le jeu est de plus en plus utilisé pour les apprentissages, son rôle dans les évaluations est totalement négligé. Or, avec son cadre ludique et rassurant, ses rétroactions et les traces des activités, le jeu peut se révéler un excellent support d’évaluation. Ces traces d’activités d’apprentissages peuvent être recueillies dans des tableaux de bords. Ceux-ci serviront de base à une évaluation formative utile tant à l’apprenant qu’au formateur.

Evaluation par le jeu - consultation des tableaux de bord
Consultation des tableaux de bord

Certains jeux, comme Math Games sont conçus pour fournir une évaluation diagnostique des connaissances mathématiques. Des plateformes comme LearningApps, H5P, Kahoot ou encore Wooflash permettent d’évaluer les élèves à travers des quiz variés.

D’autres jeux peuvent évaluer la capacité à prendre des décisions complexes. C’est le cas d’Operate Now Hospital Surgeon Walkthrough dans lequel les joueurs doivent prendre des décisions chirurgicales et reçoivent un retour immédiat.


Chapitre 8 : L’intelligence artificielle va permettre de remplacer les enseignants par des jeux

Encore faut-il savoir de quoi on parle ! L’Intelligence artificielle « forte » suppose un degré d’intelligence suffisant pour avoir une conscience, prendre des décisions et comprendre les émotions comme le ferait un humain. Cette IA relève du mythe et probablement pour longtemps… L’IA dite « faible » consiste en réalité en « algorithmes », c’est-à-dire à ces suites d’instructions qui miment les raisonnements humains.

Ces algorithmes peuvent aider les enseignants : ils peuvent par exemple, être intégrés dans des jeux pour en adapter le niveau aux performances des joueurs. « Certains d’entre eux, comme l’algorithme Computerized Adaptive Practice incluent l’évaluation furtive et la reconnaissance des émotions ». D’autres sont spécialisés dans le traitement du langage naturel.

Mais ces jeux ne remplaceront pas les enseignants dès demain ! Par contre, ces derniers devront acquérir une culture numérique suffisante pour leur permettre de reconnaître ce qui dans les jeux proposés relèvent de la pertinence pédagogique et ce qui n’est que du pur marketing…


Chapitre 9 : On apprend (mieux) en jouant

Dernier mythe à la vie dure cassé par Apprendre en jouant : on apprend mieux en jouant.

Alors qu’il y a seulement quelques décennies, le jeu était snobé par le monde de l’enseignement, aujourd’hui, il serait devenu une espèce de panacée. Il pourrait pallier tous les défauts de l’enseignement, remotiver les élèves, décupler la mémorisation, etc.

En fait, la réalité est plus complexe. D’abord, toutes les compétences acquises à travers le jeu ne sont pas transférables dans d’autres domaines. Ensuite, certains jeux ne sont pas exempts d’idéologie. Ils peuvent même véhiculer des messages contraires aux données scientifiques.

Jeu d'échecs : dont les compétences ne sont pas transférables ailleurs
Les échecs, archétype du jeu dont les compétences sont peu transférables

Le paradoxe apparent, c’est qu’il n’est pas possible de démontrer la supériorité d’une technologie par rapport à une autre. Car ce qui fait vraiment la différence, une fois de plus, ce ne sont pas les outils, mais bien les usages que les enseignants en font. Et l’enseignement est un phénomène complexe, qui fait intervenir des éléments matériels, mais aussi cognitifs, affectifs et sociaux. La technologie ne constitue donc qu’un seul de ces facteurs.

Conclusion : Apprendre en jouant, ce n’est pas automatique

Rien n’est mécanique dans le jeu : c’est la perception de la situation de jeu qui est importante. Dans les « escape games », les jeux sérieux ou encore la ludicisation, ce n’est pas l’outillage, les badges ou les tableaux marquoirs qui font la différence.

C’est la conscience d’apprendre quelque chose et le retour offert par l’enseignant (la présentation du jeu, les feedbacks offerts en cours de partie ou en fin de jeu, etc.) qui vont faire la distinction entre un moment plus ou moins agréable et une situation d’apprentissage expérientiel, au sens de John Dewey.

Quelque part, c’est rassurant de réaliser que ce sont les échanges humains qui font la différence, que la relation pédagogique constitue le nœud des apprentissages, quel que soit le support utilisé.

Un livre à mettre sur toutes les tables de chevet des formateurs et des enseignants.

Apprendre en jouant, Eric Sanchez, Margarida Romero avec la contribution de Thierry Vieville, Paris, Les Éditions Retz, 2020, accessible sur le site des éditions Retz.

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