Pourquoi les femmes sont-elles si peu nombreuses dans l’industrie numérique ? Est-ce vraiment une fatalité ? Cela tient-il à une obscure « nature féminine » qui éloignerait nos consœurs des claviers et des écrans ? Ou bien, est-ce l’organisation de la société qui encourage une ségrégation inacceptable pour notre temps ?
Dans un article précédent de ce blog, j’ai déjà présenté le livre d’Isabelle Collet, Les Oubliées du numérique.
Aujourd’hui, j’ai le plaisir de l’interviewer dans un nouvel épisode de notre Podcast Formation 3.0
L’axe d’étude d’Isabelle Collet : les questions de genre dans la tech’
Isabelle Collet est informaticienne et professeur de Sciences de l’Education à l’Université de Genève.
Dans cet épisode, elle nous parle de ce qui l’a poussée à travailler sur l’axe Femmes et Numérique. Elle a d’abord écrit une thèse sur la masculinisation des études d’informatique. En 2006, elle publie L’Informatique a-t-elle un sexe ? Un livre qui fait le constat de la diminution drastique et constante des femmes dans l’industrie numérique.
Un livre pour dépasser le stade du constat
Le nouvel ouvrage d’Isabelle Collet, Les Oubliées du numérique, veut dépasser ce constat, fait depuis de nombreuses années et à travers d’innombrables études.
Elle y fait la généalogie des femmes qui ont contribué à l’invention du numériques, avec des noms comme Mary Shelley – oui, l’autrice de Frankenstein – ou encore Ada Lovelace, la fille de Lord Byron, qui lance les bases des langages de programmation.
Mais surtout, ce livre recherche des solutions pour aller au-delà et rétablir l’équilibre entte les genres.
Et Dieu dans tout ça ?
D’où vient le mot « ordinateur » qui, en français traduit le mot anglais « computer » ? Calculateur aurait été plus proche de l’original. Mais quand IBM installe ses premiers ordinateurs en France, elle veut un nom qui soit bien accepté.
Et c’est un professeur de philologie latine de la Sorbonne, Jacques Perret, qui, dans une lettre adressée au responsable marketing France d’IBM propose le mot « ordinateur ». Ce mot est un qualificatif, au départ : c’est un attribut de Dieu, qui signifie « celui qui met de l’ordre dans le monde ».
Faut-il vraiment souligner les fantasmes de toute-puissance qu’un tel mot sous-entend ? Et si l’ordinateur est Dieu, qui est celui qui le conçoit, le manipule, lui donne des instructions ?
Des représentation des femmes et du numérique aux antipodes de la réalité
Mêmes les représentations visuelles de la femme et de la technique sont souvent entachées de préjugés tenaces : il n’y a qu’à voir les photos proposées par les banques d’images (comme celles qui illustrent cet article) :
- du rose en arrière-plan pour qu’on ne s’y trompe pas : on est bien dans un univers féminin,
- des moues boudeuses parce que le smartphone ne fonctionne pas
- l’ordinateur portable tenu en équilibre sur une main (la façon la plus pratique de s’en servir, bien entendu)
Imaginez-vous une seconde qu’un hacker ou un ingénieur homme serait représenté avec les mêmes codes ?
Toutes ces représentations nuisent non seulement aux femmes, mais à la perception générale du monde scientifique et de sa parole d’expert…
Comment rétablir l’équilibre hommes, femmes et numérique ?
Isabelle Collet propose plusieurs solutions pour rétablir l’équlibre.
D’abord, les quotas : même s’ils ont mauvais presse, ils ont démontré leur efficacité dans d’autres domaines comme la politique. Par ailleurs, dans les enquêtes Pisa, les filles affichent souvent des résultats supérieurs aux garçons dans les matières scientifiques.
Ensuite, il y a d’autres aménagements possible, comme ceux que l’Université Carnegie Mellon, aux Etats-Unis, a mis en place pour les classes techniques :
- ne pas mettre la barre trop haut sur les pré-requis techniques à l’entrée afin de permettre à ceux et celles qui ne disposent pas de ce bagage technique implicite (pas uniquement les femmes, mais aussi des hommes de milieux défavorisés, par exemple);
- former aux problématiques des genres : faire prendre conscience du fait que même une blague anodine, répétée indéfiniment, peut avoir des conséquences désastreuses sur le parcours des étudiantes;
- intégrer dans le cursus des compétences ou activités autres que purement techniques : communication, interventions dans sa communauté, etc.
Retrouvez Isabelle Collet sur son site Web G-RIRE.
Son livre Les Oubliées du numérique est en vente sur le site du Passeur Editeur.
Où écouter le Podcast de Formation 3.0 ?
Vous pouvez écouter cet épisode 8 avec Jacques Rodet (et vous abonner à notre podcast) sur ces différentes plateformes :